« Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de gel, laideronnes, pauvresses parfumées… Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m’enivre… »
Colette, Les Vrilles de la Vigne.
Le temps des marguerites et des vacances estivales s’installe dans nos jardins, mais c’est d’un autre temps que je voudrais parler : celui des violettes. Tant de fleurs portent ce nom, mais une Violette uniquement parfume mon cœur. Une Violette qui a bien fleuri sur terre durant une quatre vingtaine d’années et qui continue à fleurir dans les souvenirs de plusieurs générations à venir…
Le Petit Robert de la Langue Française définit le terme violette comme : « petite plante herbacée à fleurs violettes ou blanches, solitaire, à cinq pétales ». Pourtant, ce mot de huit lettres, Violette, se traduit en deux mots dans ma langue sentimentale : grand-mère. Violette est donc ma grand-mère, ma téta. Elle devrait avoir 82 ans, mais elle a voyagé vers l’autre monde il y a un an déjà.
– Dis-moi téta, te souviendras-tu de moi quand tu seras au ciel, entourée des anges et des bonnes gens ?
– Je te rejoindrai toutes les nuits quand tu fermes les yeux et je te raconterai de mes nouvelles. Ne t’en fais pas ma chère.
– Je t’aime téta!
Point final. Plus aucun son. Silence complet. Regard inquiet. Brouillard dans les yeux. Puis sanglots.
– Tu veux dire, elle est morte ? C’est fini ? Elle nous a quittés ma téta?
Je t’aime téta ! Je t’aimerai toujours !
Rares sont les auteurs et écrivains qui ont rendu hommage à la grand-mère dans leurs recueils littéraires, contrairement à la mère qui s’est taillée la part du lion. Bien qu’elle soit une mère en premier lieu, la grand-mère a un cœur d’or incrusté de morceaux de diamants luisants.
La Violette est une plante vivace de la famille des violaceae. Elle s’adapte partout dans tous les terrains de plantation, qu’ils soient des sols argileux, calcaires, ou terreaux. Elle sait comment paver son chemin tout droit dans le cœur des gens. Elle se dote d’une odeur fraîche qui embaume d’amour et de joie tous ceux qui sentent sa présence. Son blanc pur reflète sa personnalité si éthérée, et le violet laisse à rêver des beaux jours de l’enfance. Quant à l’entretien de cette fleur, c’est facile. Regarder dans ses yeux est une thérapie en soi. Son regard si tendre t’emmène vers un monde idéal. Regarder dans ses yeux, c’est contempler et admirer la beauté d’une fille, d’une femme, d’une mère, d’une grand-mère qui a vécu malheurs et bonheurs auxquels une fleur est exposée. Pour croître, elle se rassasie de l’eau de satisfaction, une eau sacrée qui arrose le sol solide d’une vraie vie de couple. En effet, elle a grandi si rapidement qu’elle est devenue la téta de tout le quartier, voire de tout le village. La violette est en pleine floraison presque toute l’année, à l’exception des deux mois d’août et de septembre.
La violette était la fleur préférée de Napoléon ; Violette était mon refuge aujourd’hui égaré. Elle est vraiment le symbole de l’amour secret, de l’humilité et de la modestie.
– Tu veux dire, elle est morte ? C’est fini ? Elle nous a quittés ma téta?
Morte… D’ailleurs c’est toujours le mois d’avril, quand les violettes sont en pleine floraison. Elle est morte… Elle a délaissé tous les cœurs attachés à son odeur qui embaumait son entourage ; une odeur à laquelle on devient dépendent et adonné. Violette est morte… C’est juste un tout petit faible soupir qu’elle a oublié de prendre… Pourtant, nous avons tous bien pris soin d’elle ; nous avons arrosé les tiges qui la nourrissaient de corps et d’âme, comblé ses racines qui l’attachaient à cette vie terrestre d’eau et caressé ses pétales si tendrement. Mais hélas ! La force de la nature était plus puissante que la force de l’homme ; elle l’a cruellement arrachée du jardin verdoyant où elle a cru toute une vie, pour 320 saisons consécutives !
La MORT ! Si seulement on pouvait tuer la mort qui pénètre soudainement les corps de ceux qu’on adore ! Sans aucun préavis, elle vire quotidiennement et de façon arbitraire des centaines de personnes d’une société à laquelle elles ont efficacement contribué. La mort… On ne connaît son amertume et son injustice que lorsqu’on goûte sa saveur amère et expérimente son jugement inéquitable. Voilà, c’est ça la mort… C’est même plus simple que ça n’apparaît.
Ô Violette de mon enfance ! Où es-tu ? Je ferme les yeux toutes les nuits et je t’attends, silencieusement, débordée d’espoir et d’espérance. Les jours passent, les nuits me dépassent, et la Violette de mon enfance est toujours introuvable, cachée quelque part. Je ressens sa présence, mais je ne la vois pas…
-Tu veux dire, elle est morte ? C’est fini ? Elle nous a quittés ma téta?
Non, ce n’est pas fini. Elle est morte, mais nous, sous sommes toujours en vie. Elle a disparu, mais nous sommes toujours là, emprisonnés dans notre routine journalière. Elle est dans un monde indiscernable, mais notre monde est intolérable. Violette était la grande sagesse qui complète nos problèmes ; mais maintenant, sous le sol aride de son absence nous sommes enterrés. Ce n’est pas fini. Qu’il est difficile de s’adapter à l’absence d’un être cher ! Qu’il est douloureux de vivre avec ses souvenirs dans un présent qui tend vers l’avenir ! Qu’il est ingrat l’être humain, quand il renie toutes les richesses émotionnelles, physiques, et mentales qu’il possède pour une simple perte qu’il a subi !
– Tu dis « simple » ? Pour toi, la mort de ma téta n’est qu’une simple perte ?
– Écoute, la mort va nous ravager tous. Elle ne laissera pas de survivants. C’est comme un essaim de criquets qui squattent le monde de village en village, menaçant tout genre de vie sur la planète.
– Oui, mais moi je veux ma téta! J’ai encore besoin d’elle et de ses conseils. Le temps que j’ai passé avec elle m’est insuffisant !
– Même si elle avait vécu dix ans de plus, vingt ans, cent ans… la peine aurait enveloppé ton corps avec ce même crève-cœur impitoyable. Jamais on n’est prêt à cet acte de séparation et de détachement. Tu dois admettre que ta téta est morte et que c’est fini. Y’a plus de téta!
Ce dialogue interpersonnel se répète jour et nuit dans ma tête. Les idées fourmillent dans mon cerveau et se multiplient. C’est une métastase de sentiments d’amour et de souvenirs qui est découverte par mon autre moi et qui essaye de me faire sortir de ce puits ténébreux. Une guerre froide qui ne reconnaît ni trêves ni compromis. Un conflit qui va certainement laisser des traces incurables et des pleurs intarissables. Oh bon Dieu, rends-moi ma grand-mère !
– Tu veux dire, elle est morte ? C’est fini ? Elle nous a quittés ma téta?
Nous sous le choc : Nous avons porté le noir en symbole de deuil. Nous avons partagé notre immense peine avec les consolateurs ci-présents aux funérailles. Nous avons pleuré à chaudes larmes. Nous avons crié, hurlé, blâmé Dieu pour ce qui est arrivé. Nos nez brûlaient à chaque fois que nous y faisions passer le mouchoir. Son lit, ses habits, ses petits travaux de crochet et tricots de laine, ses souliers, sa robe bleue qu’elle portait quand elle avait froid, le canapé sur lequel elle s’asseyait pour regarder la télé… Rien que du noir. Même en plein jour, nous ne voyions que du noir. Et à quoi sert ce noir ? Comme si elle allait revenir !
Nous après quelques mois : C’est fini. Oui. Elle est morte. Oui. Elle nous a quittés. Oui. On s’est habitués, mais on n’a pas oublié. D’ailleurs, c’est très vrai : la mort est le seul problème qui commence gros et qui finit petit. On s’habitue mais on n’oublie pas.
Le décès de téta était le premier contact que j’ai fait avec la mort. C’est peut-être une des expériences les plus pénibles qui puissent nous traverser et nous bouleverser dans notre vie. Aujourd’hui c’est téta, demain c’est quelqu’un d’autre. La souffrance restera la même, la perte est irrévocable, et la vie continue, avec ou sans nous. Le soleil se lèvera tous les jours, les oiseaux gazouilleront de plein cœur, les arbres porteront leurs fruits et le ciel versera ses pluies.
La Violette de mon enfance couvera mes souvenirs, jusqu’à ce que, un jour lointain, renaissent ces souvenirs dans un autre milieu et un autre temps…
Mais, enfin, Dieu, rends-moi ma grand-mère même si dans les rêves!
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La j’ai pu me régaler en lisant votre texte si émouvant et comme je comprends que la disparitation de votre grand-mère a du être difficile mais elle a bien de la chance d’avoir eu une petite fille qui l’aimait. J’ai même versé quelques larmes tellement cela m’a remuée. Vu mon grand âge je peux vous dire que vous êtes une jeune fille superbe et que votre téta était une bien belle grand-mère. Je ne regarderai plus jamais les violettes de la même façon. Bien amicalement
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Wow c’est bien moi qui ai les larmes aux yeux maintenant! Merci beaucoup pour vos mots si réconfortants et sincères. Vous pouvez me considérer comme votre fille ou petite fille. Grand merci!
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